ASSOCIATION DES MÉDIATEURS EUROPÉENS

Centre de médiation du Barreau de Paris

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Parution : jeudi 4 avril 2024
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Eric Dupond-Moretti, Ministre de la Justice, leur a confié les clefs de la politique de l’amiable en France : ils sont au total neuf ambassadeurs soit trois magistrats [1], trois professeurs [2] et trois avocats médiateurs [3], nommés depuis le 12 mai 2023 pour se déplacer dans les cours d’appel de France et réunir le temps d’une journée tous les professionnels du droit pour échanger puis trouver des pistes d’amélioration pour que "l’amiable" fonctionne dans les juridictions.
Le Village de la Justice a sollicité trois d’entre eux, représentant les trois professions qui constituent ce groupe : le magistrat Fabrice Vert, la professeure des universités Natalie Fricero et l’avocate Carine Benoit-Denteux.
Voici leur interview croisée.

Fabrice Vert, Premier vice président au tribunal judiciaire de Paris, vice président du groupement européen des magistrats pour la médiation, section France et, membre du conseil national de la médiation.

Natalie Fricero, professeure des Universités (Université Côte d’Azur), ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, Membre du Conseil national de la médiation, Ambassadrice de l’amiable.

Carine Denoit-Benteux, Avocat au barreau de Paris et médiateur, ancien membre du Conseil de l’Ordre, ancien membre du Conseil National des Barreaux, co responsable de la commission ouverte des modes amiables au barreau de Paris [4].


Village de la Justice : Pourquoi, chacun, avoir accepté de participer à ce groupe des ambassadeurs de l’amiable ? Et pourquoi croyez-vous à ce mode de règlement des litiges ?


Fabrice Vert : « J’ai accepté et été honoré de cette désignation comme ambassadeur de l’amiable par le Ministre de la Justice car au cours de ma carrière de 33 ans de magistrat, je me suis beaucoup investi dans le développement des modes amiables de résolution des différends et j’ai pensé que cette expérience acquise pouvait être mise au service de cette mission d’ambassadeur de l’amiable, étant observé que c’est une continuité des nombreuses interventions, colloques, webinaires, formations, etc. sur les modes amiables dans lesquels j’interviens depuis de nombreuses années.

Fabrice Vert

L’objectif est de dresser et de capitaliser les acquis des pratiques de l’amiable actuellement développées dans les ressorts de 36 cours d’appels de France et de partager avec nos interlocuteurs nos expériences afin que la culture de l’amiable se diffuse et de favoriser la mise en place effective de cette culture par des actions concrètes.

Et la marge de progression est importante quand on sait par exemple que seulement 1% des litiges soumis au juge sont résolus par la médiation et que selon un sondage récent, 58% des avocats ne proposent jamais ou rarement un mode alternatif de règlement des conflits à leurs clients.

Dans le pays du légicentrisme et dans une société qui est davantage une société du conflit (ou pour reprendre certaines expressions imagées du garde des Sceaux, une société qui a la culture de "la castagne et du chicaya") qu’une société du compromis, la médiation et les modes amiables ont souvent été regardés par les juristes comme une mode, un gadget, avec une certaine, incompréhension, condescendance, ce qui peut expliquer leur faible développement dans les juridictions.

Pourtant les intérêts des modes amiables ne sont pas négligeables et concernent pratiquement tous les contentieux.

L’intérêt des modes amiables, en effet, outre leur rapidité, évitant des procès lents et coûteux, est de permettre aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, d’en devenir des acteurs responsables, de leur permettre de porter eux-mêmes leur parole et d’écouter celle de l’autre, de se comprendre mutuellement, d’aborder l’entièreté du conflit aussi bien dans ses aspects économiques, relationnels, psychologiques, sociaux au-delà du litige strictement juridique qui bien souvent ne traduit pas la véritable origine du conflit, la réponse judiciaire à ce litige ne pouvant dès lors mettre fin à ce dernier.

L’intérêt essentiel des modes amiables au-delà de l’accord ponctuel qui mettra, le cas échéant fin au litige soumis au juge, est de permettre de nouer ou de renouer un lien social entre des parties en conflit et de préserver l’avenir si elles sont amenées à continuer à entretenir des relations, qu’elles soient de nature commerciale, familiales, de voisinage…

Comme beaucoup de magistrats de ma génération, je n’ai pas été sensibilisé aux modes amiables au cours de mes études universitaires ou à l’ENM, ignorant, je l’avoue, jusqu’à l’existence de l’article 21 du code de procédure civile, qui pose comme principe directeur du procès « il entre dans la mission du juge de concilier », pensant que mon rôle se limitait à celui de trancher un litige en appliquant la règle de droit dans un cadre processuel élaboré.

Aussi, je fus plutôt décontenancé il y a plus de trente ans lors de mon premier poste de juge dans l’Indre lorsqu’un avocat m’a saisi au tribunal d’instance de La Châtre, dans le cadre procédural d’une tentative préalable de conciliation, pour un contentieux qui opposait deux voisins [5].

J’ai continué jusqu’à aujourd’hui, dans toutes les fonctions que j’ai occupées en 33 ans de carrière et dans des contentieux aussi divers que les successions, les baux commerciaux, la construction, la concurrence déloyale etc. [6] à offrir aux justiciables, cette voie amiable qui est une chance supplémentaire de régler au mieux de leurs intérêts, dans les cas éligibles, leurs litiges, et permettant à la justice d’assurer pleinement son rôle essentiel de garant de la paix sociale pour améliorer ma pratique dans ce domaine [7]. »

Natalie Fricero : « Sur le plan académique, je suis professeure des Universités, spécialiste de la procédure civile, matière qui intègre les modes amiables de résolution des conflits. Je m’y intéresse depuis longtemps et j’ai rédigé des articles et ouvrages sur les MARD [8].

Natalie Fricero

J’ai participé en 2008 à la Commission Serge Guinchard [9], qui a proposé la procédure participative assistée par avocats (consacrée par une loi de 2010). J’ai assuré de nombreuses sessions de formation de médiateurs, conciliateurs et avocats sur les MARD et j’enseigne les modes amiables dans le Diplôme universitaire de médiation de l’Université Côte d’Azur.

Lorsque le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a lancé une politique nationale de l’amiable, et que j’ai été désignée comme Ambassadrice de l’amiable, j’ai été honorée et ravie de participer à cette nouvelle orientation.

Je pense que les processus amiables n’ont pas encore trouvé toute la place qui devrait leur revenir dans le service public de la justice.

En effet, de nombreuses raisons justifient leur développement, tenant aux avantages de la contractualisation de la solution. L’application de la règle de droit à un cas particulier peut s’avérer parfois inéquitable, parce que la solution ne répond pas de manière adaptée aux besoins concrets des personnes. Mais le droit à une solution amiable ne peut être consacré dans un État de droit que si l’encadrement du processus garantit les droits fondamentaux des intéressés. »

Carine Denoit-Benteux.

« Avocat de la famille depuis plus de vingt ans, j’aime profondément la mission qui est la mienne d’accompagner mes clients dans un moment difficile de leur vie et plus que tout, j’aime ce moment où, lorsque le dossier se termine, je les raccompagne pour la dernière fois à la porte de mon cabinet et suis sereine pour la suite de leurs parcours.

Carine Denoit-Benteux

C’est à ce moment, précisément, que je mesure l’utilité de ma mission et le plaisir que j’ai à exercer mon métier. Or, si ce sentiment de sérénité intervient quelques fois à l’issue d’un contentieux, il existe, de manière certaine, à l’issue d’un accord construit et négocié sur mesure, au cas par cas. En matière familiale en particulier, l’amiable permet une grande liberté. Alors que dans le cadre d’un traitement judiciaire, la résolution d’un seul conflit, en particulier en matière patrimoniale, nécessite souvent d’engager plusieurs procédures, l’amiable permet une liberté de traitement bien plus grande et une solution d’ensemble plus rapide, plus complète et plus constructive.

Accepter d’assurer la défense d’un client est une responsabilité pour les avocats. Nous leur devons de maîtriser tant le contentieux que le conseil, et donc les processus de négociation, pour les accompagner au mieux.

En démarrant mon activité d’avocat, je me suis d’abord intéressée au processus collaboratif qui n’est pas codifié en droit français mais qui est une méthode de négociation d’origine anglo-saxonne reposant sur des techniques de communication facilitant la construction des accords.

Mon parcours professionnel m’a par ailleurs très rapidement amenée à assurer des fonctions de représentation de la profession d’avocats dans diverses instances. [10] La rencontre avec Pierre Delmas Goyon, président de cette commission et la lecture de son rapport ont marqué un tournant dans ma pratique professionnelle. D’une part j’ai pris conscience de la nécessité pour les avocats d’accompagner le développer de la médiation. Je me suis donc formée à ce processus. D’autre part, j’ai fait la connaissance, à l’occasion de ces échanges, de Renaud Lebreton de Vannoise à l’époque président du Tribunal judiciaire de Pontoise et inventeur des actes de procédure d’avocats qui deviendront, à l’issue du travail mené sous sa présidence durant près d’un an et auquel j’ai eu l’honneur de participer, l’élément central du fonctionnement de la procédure participative de mise en état.

Élue ensuite au Conseil National des Barreaux (de 2015 à 2020), j’ai fait voter la création du Centre National de Médiation des Avocats (centre d’information et de recherche du CNB pour la médiation) et en ai assuré la direction durant plusieurs années [11].

Cette nouvelle mission d’ambassadeur de l’amiable s’inscrit donc dans la ligne droite de l’engagement que j’ai pris, il y a maintenant plus de vingt ans, de participer au développement de l’ensemble des processus amiables. »


C’est quoi, les Ambassadeurs de l’amiable ? Quel est le but de ce groupe de travail, et pendant quelle durée allez-vous travailler ensemble ?


Fabrice Vert

« Les temps ont désormais changé et sont à l’amiable, puisque Eric Dupond Moretti, ministre de la Justice, a lancé solennellement, place Vendôme, sa politique nationale de l’amiable le 13 janvier 2023, et a notamment décidé de proposer deux nouveaux instruments dans la boite à outil de l’amiable du juge : la césure et l’audience de règlement amiable.

C’est dans le cadre de cette politique nationale de l’amiable qu’il a désigné le 12 mai 2023 (avec une lettre de mission détaillée), 9 ambassadeurs de l’amiable [12] avec pour mission notamment d’accompagner sur le terrain, au plus près des acteurs concernés dans les juridictions et des écoles de formation et de permettre l’appropriation des nouveaux et anciens mécanismes de l’amiable dans les meilleures conditions, d’inciter, à l’occasion de déplacements réguliers sur le terrain et à l’aide de conseils concrets les différents acteurs judiciaires à s’engager dans une démarche d’utilisation active des outils de l’amiable, de participer à la création et à la structuration dans les juridictions et les écoles de formation d’un réseau national de référents « justice amiable », de concevoir, élaborer et transmettre des outils facilitant pour tous les acteurs [13] l’utilisation des dispositifs amiables [14], la communication sur ces dispositifs et le déploiement de partenariats locaux, recenser les pratiques locales.

Les ambassadeurs de l’amiable sont investis depuis nombreuses années dans la promotion et le développement des modes amiables et ont pour la plupart déjà l’habitude de travailler ensemble sur cette problématique. Nous avons déjà élaboré plusieurs instruments en vue des différentes ambassades que nous avons déjà commencées et qui rencontrent un grand succès.

Les directions du ministère de la Justice sont mobilisées et à nos côtés au soutien du développement de la politique de l’amiable et les membres du Conseil National de la Médiation peuvent nous accompagner lors de nos visites


S’agissant de vos déplacements dans les cours d’appel, l’idée est de sensibiliser ? De former ? Quelle collaboration mettez-vous en place avec les juridictions et les professionnels ?


Fabrice Vert : « Le lundi 26 juin 2023, c’est la Cour d’appel de Colmar, présidée par Valérie Delnaud, également ambassadrice de l’amiable, qui a été la première à recevoir un trio d’ambassadeurs de l’amiable [15], avec l’appui de la direction des affaires civiles et du sceau et de son directeur, Rémi Decout-Paolini. Lors de ces ambassades, nous rencontrons tous les acteurs concernés par l’amiable [16] invités par le Premier président de la cour d’appel, avec lequel nous sommes en relation pour l’organisation (avec l’appui de la direction des affaires civiles et du Sceau) de cette ambassade qui dure une journée.

La première ambassade de la rentrée a eu lieu le 2 octobre 2023 à Grenoble, le ministre de la Justice et le directeur des affaires civiles et du Sceau ayant également fait le déplacement. D’autres ambassadeurs se sont rendus dans les cours d’appels de Poitiers, Pau, Rennes... De nombreuses autres cours d’appel recevront notre visite, aucun délai n’ayant été fixé à notre mission d’ambassadeurs.

Ces ambassades nous ont déjà permis de découvrir des pratiques amiables très intéressantes sur le terrain et de recenser plusieurs freins au développement de l’amiable (moyens, mesures incitatives, financement, formation etc.) que nous faisons remonter à la direction des affaires civiles et du Sceau dans le cadre de nos rapports de fin d’ambassade. Les acteurs que nous rencontrons et notamment ceux qui s’investissent dans la voie amiable se déclarent très satisfaits de pouvoir échanger avec nous. Nous avons pu constater que les pratiques de l’amiable peuvent être très différentes selon les juridictions et dépendent trop souvent d’investissements personnels, d’où la nécessité de décliner une politique nationale afin que l’offre de médiation, de conciliation et autres voies amiables soit effective sur tout le territoire national dans le souci d’égalité de traitement du justiciable devant le service public de la justice. »


3 professeurs, 3 magistrats, 3 avocats : un modèle idéal ? Que vous apportez-vous les uns les autres ?


Fabrice Vert : « Le profil diversifié des ambassadeurs tous très impliqués dans l’amiable permet une réflexion riche et constructive, l’idée principale étant de capitaliser les acquis des expériences existantes, d’élaborer un mode d’emploi et un guide de bonnes pratiques, et de faire des propositions de réformes dans le cadre d’une politique nationale de l’amiable décidée par le ministre de la justice. La route sera longue mais enthousiasmante au regard de nos premières ambassades à l’occasion desquelles nous sommes très bien reçus et qui sont plus passionnantes les unes que les autres. »

Natalie Fricero : « Fabrice Vert a parfaitement décrit l’importance des objectifs que nous confère la lettre de mission du Ministre de la Justice, pour une durée qui n’est pas déterminée.

J’ajouterai que les échanges avec les acteurs locaux concernés sont essentiels : nos journées comportent des temps de dialogue avec tous les acteurs de la justice, ce qui nous permet de faire un état des lieux de l’amiable, de noter les difficultés de mise en œuvre, et de discuter des solutions permettant de développer les processus. A cet effet, nous avons des échanges avec chacun des acteurs individuellement, puis nous réunissons l’ensemble des professionnels concernés pour trouver des pistes communes et partagées d’amélioration. Les remèdes imposent parfois des modifications législatives : les Ambassadeurs servent en quelque sorte de relais avec les pouvoirs publics à cet effet. »

Carine Denoit-Benteux

« Comme l’ont indiqué Fabrice Vert et Natalie Fricero, nos déplacements sont organisés autour d’échanges séparés avec les différents acteurs des processus amiables mais également de rencontres plénières. L’amiable s’est développé au gré de pratiques et d’initiatives locales et ces échanges sont nécessaires à leur parfaite compréhension. Les plénières le sont tout autant parce que l’amiable est la culture du dialogue, non seulement entre les justiciables mais également entre les professionnels. La réussite de ces processus amiables passe donc nécessairement par un travail d’équipe entre les magistrats, les avocats, les médiateurs et les conciliateurs. »


Quelles “innovations” appelez-vous de vos vœux dans les prochains mois pour que l’amiable" progresse ?


Fabrice Vert :

- « En premier lieu, la formation des acteurs judiciaires sur l’amiable, qui est aujourd’hui trop insuffisante, même s’il y a des progrès indéniables notamment à l’ENM, est une des clefs de la réussite de cette politique. Tout juge, avocat ou greffier au cours de sa formation devrait assister à une médiation ou une conciliation, pour en comprendre tout l’intérêt, et notamment la plus-value du caractère ternaire du processus.

- En second lieu, selon le maître mot du rapport de 2008 de la cour d’appel de Paris sur la médiation, il faut structurer la voie amiable dans les juridictions sans la rigidifier. L’activité des juges et des greffiers dans l’amiable doit être comptabilisée et évaluée avec un outil statistique adapté. Outre qu’un tel outil statistique se révèle indispensable pour obtenir une évaluation fiable et en tirer les enseignements utiles, il manifesterait une reconnaissance pour le travail déployé par les fonctionnaires du greffe et les magistrats dans ce domaine. Des objectifs en matière de médiation et de conciliation doivent être fixés aux juridictions.

- En troisième lieu, un code de déontologie des médiateurs et une labellisation des formations à la médiation doivent garantir la qualité du processus.

- En quatrième lieu, il faut améliorer le régime juridique de l’expertise amiable [17] qui présente de nombreux avantages pour le justiciable, en créant un juge de l’expertise amiable qui pourrait intervenir en cas d’incident, ou de demande de mise en cause d’un tiers.

- En cinquième lieu, le développement de l’amiable suppose également l’adoption de mesures incitatives notamment d’ordre financier ou comptable, un renforcement du rôle du juge prescripteur d’amiable et une réflexion sur le financement de l’amiable.

Mais il est certain que ce changement de culture et de paradigme dans la résolution des litiges ne pourra se faire sans un partenariat actif entre avocats et magistrats dans le cadre par exemple d’unités de modes amiables qui pourraient être créées dans les juridictionset par l’allocation de moyens matériels et humains dédiés.

L’amiable est une chance à saisir au service des justiciables. Mais c’est aussi l’occasion de redonner du sens notamment à l’office des juges civilistes qui parfois ont l’impression d’écluser à la chaîne des monceaux de dossiers dans des audiences surchargées.

L’amiable permet de réintroduire le justiciable au centre du procès et l’aspect humaniste des modes amiables est de nature à redonner du lustre à une fonction de juge civiliste victime d’un tarissement des vocations.

Espérons que cette politique nationale de l’amiable sera à la hauteur des espoirs qu’elle suscite... »

Natalie Fricero :

« La mise en place du nouveau dispositif prévu par le décret du 29 juillet 2023 améliorera certainement la culture de l’amiable. Particulièrement, l’audience de règlement amiable (ARA) qui est présidée par un juge du tribunal judiciaire révèle une revalorisation de l’office du juge civil. En effet, si le Code de procédure civile a précisé qu’il entre dans la mission du juge de concilier les parties, le rôle conciliatoire du juge a été précisé et teinté de médiation, puisque l’audience qu’il tient a pour objectif de trouver une solution adaptée qui repose sur la confrontation équilibrée des points de vue des parties, de l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs. Comme l’ARA est fait partie intégrante du service public de la justice, les parties sont assurées du respect de leurs droits fondamentaux. [18] »

Carine Denoit-Benteux :

« La décision du Garde des sceaux de mener une politique active du développement de l’amiable est une chance, un nouveau souffle. De nouveaux instruments sont nés, d’autres évoluent. Au regard de ce nouveau champ des possibles, les professionnels du droit devraient pouvoir recourir de manière systématique à l’une des options amiables qui s’offrent à eux. Comme l’évoque Natalie Fricero, contribuer à assurer l’accès pour tous à une justice civile pacifiée, est un enjeu majeur. »

https://www.dalloz-actualite.fr/node/mediation-d-un-changement-de-culture-vers-une-politique-nationale#.YyKxF7TP1D9

 

Alors que le ministère de la Justice poursuit ses consultations sur les suites à donner aux propositions du comité des États généraux de la justice, auxquelles le Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME) section France a été associé et que le décret sur la composition du Conseil national de la médiation devrait être prochainement publié, le moment est venu d’une véritable politique nationale en faveur de la médiation.

Par Frédérique Agostini et Fabrice Vert le 09 Septembre 2022

La loi n° 95-125 du 8 février 1995 instaurant la médiation judiciaire va bientôt fêter ses 30 ans et l’association GEMME ses 20 ans.

Si notre pays a été l’un des premiers à se doter d’une loi organisant et codifiant la médiation judiciaire, sa pratique reste marginale. Des expériences individuelles ont certes été conduites avec beaucoup d’énergie dans certaines juridictions1 mais la pérennité de ces dispositifs est rarement assurée.

La France n’est pas une société du compromis. Les prétoires sont des espaces d’affrontements et rarement des lieux où s’engage un dialogue autour de la recherche d’une solution amiable.

La pratique de la médiation judiciaire et de façon générale le recours aux MARD (modes amiables de résolution des différends) restent limités, la médiation représentant moins de 1 % des modes judiciaires de résolution des différends2.

Cependant, les efforts des pionniers de la médiation, avocats, magistrats, médiateurs, universitaires, représentants de la société civile commencent à porter leurs fruits avec l’acculturation progressive des acteurs judiciaires à l’amiable3.

À ce moment clé du développement de la médiation, le GEMME dispose de nombreuses propositions qui pourraient être reprises utilement dans le cadre de cette politique nationale.

Une acculturation progressive des acteurs judiciaires à la médiation

Les acteurs judiciaires commencent à regarder davantage la médiation et le recours à l’amiable non pas comme une déjudiciarisation destinée à diminuer les stocks des juridictions mais comme un mode qualitatif de résolution des différends tourné vers l’avenir, répondant aux besoins des justiciables, permettant à ces derniers dans le cadre d’un processus éthique de communication de renouer un dialogue et de trouver des solutions avec l’aide d’un tiers compétent, neutre et impartial.

Cette acculturation se traduit notamment, grâce à une collaboration étroite avec les avocats, les associations de médiateurs et les représentants de la société civile, par la multiplication des permanences de médiateurs et de conciliateurs, par une augmentation sensible des injonctions de rencontrer un médiateur délivrées par les juges à divers stades des procédures, par le développement de formations communes aux différents professionnels, par la mise en place, dans plusieurs ressorts judiciaires, d’unités des modes fédérant les partenaires.

À l’issue de réflexions collectives, la cour d’appel de Paris a établi deux rapports, l’un en 2008, l’autre en 20214 préconisant les réformes nécessaires pour institutionnaliser la médiation dans les juridictions sans la rigidifier, la souplesse et la liberté devant rester l’essence de ce processus.

Et sous l’impulsion de Chantal Arens, alors première présidente, la Cour de cassation a ordonné ses premières médiations judiciaires5.

Le législateur a accompagné ce mouvement :

• La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a constitué une étape importante en imposant à peine d’irrecevabilité de la déclaration au greffe du tribunal d’instance que le juge peut soulever d’office, une tentative de conciliation devant un conciliateur de justice (si l’objet du litige est inférieur à 4 000 €), en prévoyant la possibilité de recourir à la procédure participative assistée par avocat même si le juge est déjà saisi du litige, en introduisant la médiation judiciaire devant les tribunaux administratifs et en expérimentant une tentative de médiation obligatoire dans onze tribunaux en cas de demande modificative d’une décision ou d’une convention ayant fixé une contribution alimentaire pour l’entretien d’un enfant.

• La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a permis à tout juge, en application l’article 22-1 de la loi du 8 février 1995, de faire injonction aux parties de rencontrer un médiateur pour être informées sur l’objet et le déroulement d’un processus de médiation6.

• La loi n° 2021-1729 du 22 décembre pour la confiance dans l’institution judiciaire comporte plusieurs dispositions facilitant le recours aux MARD et créée le Conseil national de la médiation dont le GEMME se réjouit de la naissance qu’il appelait de ses vœux depuis de longues années et qui pourra être le fer de lance d’une politique nationale affirmée de médiation.

La médiation, c’est maintenant

Le rapport du comité des États généraux de la justice fait le constat d’une « crise majeure de l’institution judiciaire », laquelle se trouve dans un « état de délabrement avancé », « ne remplit plus son rôle et fait l’objet de remises en cause ». Ce constat concerne singulièrement la justice civile, « invisible dans les débats politiques » et victime d’« un lent déclassement ».

Le moment est donc venu d’engager une véritable politique nationale de l’amiable judiciaire en adoptant, comme le préconise le comité, « une démarche cohérente et organisée » déployant les MARD non pas comme un moyen de limiter les flux entrants mais comme un outil participant de la qualité de la justice civile7.

Le GEMME milite depuis longtemps en faveur la justice amiable, conçue comme une modalité de résolution des différends sous l’égide du juge.

Les avantages de la médiation, comme de la conciliation ou de la procédure participative assistée par avocats, sont connus : ils permettent de créer des solutions innovantes, adaptées aux besoins des parties ; ils rétablissent la pérennité, parfois essentielle, dans les relations des intéressés.

Il a été confirmé, dans certaines juridictions, qu’un développement significatif de la médiation et de la conciliation permet de traiter un pourcentage non négligeable du contentieux et de prévenir de futurs procès.

Économiquement, il est démontré qu’une dynamique de défiance, défavorable à l’activité, favorise l’inflation normative. Les modes amiables sont ainsi particulièrement mobilisables et souhaitables dans les contentieux économiques et commerciaux où leur souplesse est pleinement reconnue et favorise la confiance entre les acteurs8.

Le comité des États généraux de la justice a fait siennes les propositions du groupe thématique Simplification de la justice civile présidé par Stéphane Noel, président du tribunal judiciaire de Paris, fervent promoteur des modes amiables. Le rapport comporte un volet important concernant les MARD, soulignant la nécessité, notamment, d’une politique nationale volontariste en la matière et leur institutionnalisation au sein des juridictions.

Pour rendre les modes amiables effectifs à court terme, diverses propositions ont été soutenues par le GEMME et récemment suivies d’effet. Notamment, mettant un terme à l’obligation de consigner à la régie de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur, l’entrée en vigueur du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 a levé un frein au développement de la médiation, notamment en matière familiale.

Pour l’avenir, le développement des MARD passe par la création d’un outil informatique national, indispensable à l’enregistrement et au suivi des procédures amiables, à la prise en compte de l’engagement des magistrats et des fonctionnaires du greffe dans l’appui qu’ils y apportent, aux conséquences à en tirer sur l’organisation d’une juridiction. Combien d’injonctions ou de médiations ont été ordonnées ? Combien de désistements d’instance ont fait suite à une injonction de rencontrer un médiateur ou un conciliateur ou à une ordonnance de médiation ? Combien d’accords totaux ou partiels ont été homologués par les juges ou décisions sur désaccords persistants prononcés ? Cet outil permettrait en outre de disposer d’un indicateur de la qualité de la justice civile à laquelle concourent les dispositifs de promotion des MARD9.

L’intégration de la médiation dans les procédures judiciaires doit s’accompagner d’une mise en cohérence du régime juridique des modes amiables. Un livre autonome dans le code de procédure civile devrait regrouper les dispositions aujourd’hui éclatées et établir un droit commun des modes amiables, relatif notamment aux exigences de qualité (indépendance et impartialité du médiateur, etc.), aux mesures d’instruction et à l’homologation. La confidentialité de la médiation devrait ainsi être étendue à la réunion d’information qui se tient sur l’injonction du juge. Ce socle commun n’interdirait pas l’existence de règles propres à chacun des modes amiables, médiation, conciliation et procédure participative assistée par avocat.

Même si la médiation n’est pas la solution à tous les litiges, les parties doivent être incitées à s’informer sur les avantages d’une solution négociée et à s’engager dans une voie amiable. Le nombre d’unités de valeur octroyées aux avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle devrait être augmenté si les parties acceptent une médiation. Pour faciliter la recherche d’un accord, la durée de la médiation pourrait être modifiée : si le délai de trois mois prévu par le code de procédure civile est adapté dans un premier temps, le médiateur ou les parties devraient pouvoir en demander une prolongation dans un délai déterminé par le juge. La médiation post-sentencielle qui a fait ses preuves en matière familiale devrait être généralisée facilitant les césures du procès. Enfin, la partie qui, sans motif légitime, ne défère pas à l’injonction du juge de rencontrer un médiateur ou un conciliateur pourrait se voir privée du bénéfice de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon l’article 21 du code de procédure civile, il entre dans la mission du juge de concilier les parties. Cette mission s’entend aujourd’hui pour le juge qui l’oriente et appuie les parties dans la recherche d’une solution en tout ou partie amiable. Cette mission nous paraît participer de « l’éthique de la discussion selon une procédure interactive ouverte » appelée de ses vœux par C. Soulard, nouveau président de la Cour de cassation10.

Selon un sondage récemment commandé par la commission des lois du Sénat11, nos concitoyens plébiscitent à 90 % le développement de la médiation et de la conciliation. Soutenus par une politique nationale mobilisant les leviers juridiques, techniques et financiers adaptés, ne les décevons pas !

 

Notes

1. F. Vert, Le juge des référés et l’amiable, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015. Le GEMME a activement participé à cette évolution favorable ; v. à propos de cette association : gemme-mediation.eu et gemmeeurope.org.

2. C. Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015.

3. V. Lasserre, Les graves lacunes de la réforme de la procédure de médiation, D. 2019. 441 .

4. J.-M. Hayat et V. Lasserre, Promotion et encadrement des MARD : publication du rapport de la cour d’appel de Paris, Dalloz actualité, interview, 25 mars 2021.

5. C. Arens et F. Molinié, La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ?, Dalloz actualité, 7 juill. 2021.

6. C. Féral-Schuhl et F. Vert L’injonction de rencontrer un médiateur : regards croisés d’un juge prescripteur et d’une avocate médiatrice, Gaz. Pal. 13 mai 2021.

7. S. Amrani-Mekki, L’amiable : concevoir et construire, Gaz. Pal. 14 avr. 2020, p. 5 ; F. Vert et M. Chapuis, Un moyen disruptif pour réduire les stocks des tribunaux :et si on essayait l’amiable, Dalloz actualité, Le droit en débats, 1er mars 2021.

8. Le développement de la culture de médiation dans les juridictions de l’ordre judiciaire, in L’ouvrage la médiation, Archives de philosophie du droit, t. 61, Dalloz, 2019.

9. V. tableau de bord de la justice dans l’Union – figure 29.

10. C. Soulard, Le juge et les valeurs fondamentales : pour une éthique de la discussion, Cah. just. 2022. 65 .

11. Sondage réalisé par le CSA Research en septembre 2021 pour le Sénat : le rapport des Français à la justice.

La mediation devant la Cour de cassation pourquoi pas

Le rapport remis à la cour d’appel de Paris par le groupe de travail présidé par Madame LASSERRE sur « médiation et conciliation »

RAPPORT

Très bel article relevé dans le POINT du 7 Mai 2020 écrit par  Mme Chantal ARENS, Première Présidente de la Cour de Cassation, prônant le développement de nouvelles voies de règlement des litiges, tels les modes amiables … intitulé "Pour une profonde transformation de la justice"

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