Le droit en débats
Sortie de crise de la justice civile : la piste de la voie amiable
Après la grève des transports, la grève des avocats et la crise sanitaire du coronavirus, la justice civile, pour continuer sa mission régalienne de dire le droit, va devoir être enfin dotée d’un budget à hauteur de ses besoins, se transformer en profondeur et faire preuve d’adaptabilité et de souplesse dans ses réponses à cette crise inédite,
La voie amiable de résolution des litiges, encore trop souvent ignorée, est une piste de sortie de crise à ne pas négliger, et, singulièrement, la médiation, qui est un processus souple, reposant sur les principes de liberté et de responsabilité de ses acteurs, présente toutes les qualités requises pour aider la justice civile à faire face aux monceaux de contentieux qu’elle devra traiter.
Les avantages de la médiation sont bien connus des praticiens
L’intérêt de la médiation, outre sa confidentialité, est de permettre aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, de renouer un dialogue respectueux, d’aborder l’entièreté du conflit aussi bien dans ses aspects économiques, relationnels, psychologiques et sociaux, au-delà du litige strictement juridique qui, bien souvent, ne traduit pas la véritable origine du conflit, la réponse judiciaire à ce litige ne pouvant dès lors mettre fin à ce dernier.
Mais, dans la crise que nous traversons, c’est sa rapidité à trouver une solution au conflit opposant des parties qui en fait un outil indispensable, que ce soit en amont ou en aval de la saisine du juge.
Enfin, dans notre société qui devra questionner son mode d’organisation et son rapport à l’autre, la médiation, dont l’éthique repose sur les valeurs fondatrices de notre République – égalité, liberté et fraternité –, est susceptible de recevoir plus d’écho auprès de nos concitoyens, qui, au sortir de cette crise sans précédent, pourraient remettre à l’honneur la valeur de fraternité.
Ainsi pourrait émerger, dans l’imaginaire collectif, la valorisation de l’acteur judiciaire qui recherche à apaiser le conflit, en contribuant au rôle de garant de la paix sociale de l’institution judiciaire plutôt que celui qui attise le conflit, thème si cher à Daumier et qui aujourd’hui est régulièrement l’invité des plateaux des chaînes d’information continue en mal de sensationnalisme.
D’aucuns s’accordent à dire que le développement significatif des modes amiables de résolution des différends (MARD) suppose un changement de culture et de paradigme dans la façon de régler les litiges, s’agissant de privilégier les intérêts et les besoins des parties et non plus une confrontation de positions juridiques.
L’optimisation des pratiques innovantes
Le paradoxe de la médiation judiciaire en France est que, si notre pays a été l’un des premiers à se doter, en février 1995, d’une loi l’organisant, sa pratique, plus de vingt-cinq ans après, reste très peu développée.
Cette crise sans précédent, qui peut se traduire par une asphyxie des juridictions, sera peut-être la prise de conscience de l’urgence de développer enfin une véritable politique publique de développement des modes amiables de résolution des conflits1.
Cependant, une structuration des modes amiables ne doit pas être synonyme de rigidification et de bureaucratie supplémentaire, qui ne répondraient pas aux exigences de souplesse et de liberté qui font tout l’intérêt des modes amiables, comme l’a souligné le rapport Magendie sur la médiation de février 20082.
Mardi 31 mars 2020, le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat, participait au Webinair LexisNexis-Le Club des juristes sur la crise sanitaire et ses conséquences sur le fonctionnement de la justice parisienne et proposait la médiation comme une des solutions à la reprise de l’activité des juridictions, tandis que, déjà en 2015, la première présidente Chantal Arens3 évoquait la médiation et la conciliation comme modes premiers de règlement des litiges.
De nombreux outils à la disposition des juges et des auxiliaires de justice existent déjà et sont mis en œuvre dans certaines juridictions, comme le tribunal judiciaire de Créteil4, et pourraient utilement être généralisés :
• instauration de permanences tenues par des médiateurs ou conciliateurs de justice aux audiences du juge des référés, des juges de la mise en état, ou devant le juge de l’exécution ;
• injonctions délivrées par le juge aux parties de rencontrer un médiateur ou les invitant à rencontrer un conciliateur de justice, étant observé que le juge peut tenir compte dans son appréciation des frais irrépétibles du refus non justifié d’une partie de déférer à cette injonction5 ;
• élaboration d’un bulletin de mise en état de procédure participative invitant notamment les parties qui ont un avocat à organiser elles-mêmes la mise en état conventionnelle de leur affaire.
Il sera également rappelé qu’en 2009, la cour d’appel de Paris avait signé un protocole d’accord avec le Forum des droits sur l’internet dont l’objet était la mise en œuvre des premières médiations judiciaires en ligne, expérimentation qui a été une réussite. Néanmoins, cette plateforme de médiation en ligne a été démantelée de manière incompréhensible et aurait été bien utile en cette période de confinement6.
L’amiable en période de confinement
En cette période de confinement, les parties ayant un avocat peuvent en effet utilement conclure des procédures participatives de mise en état, ce qui permettrait aux avocats de mettre en état procéduralement les affaires dont ils ont la charge mais aussi de désigner par acte d’avocat un médiateur qui pourrait procéder par voie de visioconférence et aider les parties à trouver rapidement une solution négociée à leur litige.
Rappelons qu’il est également possible de désigner, par acte d’avocat, un technicien (expert) dont le rapport aura la même valeur probatoire qu’une expertise judiciaire, avec à la clé un gain de temps fort appréciable pour les parties.
Le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris ont récemment créé une plateforme de mise en état participative qui offre aux avocats tous les outils nécessaires pour conclure efficacement de telles conventions. Une formation par visioconférence a eu lieu le 9 avril 2020, organisée par le référent médiation du conseil de l’ordre du barreau de Paris, Hirbord Dehghani-Azar, avec plus de mille participants, une diffusion en direct sur Facebook Live et les interventions du bâtonnier Olivier Cousi, du président Stéphane Noël, de Me Carine Denoit-Benteux et de la professeure Natalie Fricero.
Le président Noël a évoqué la possibilité d’obtenir une date prioritaire pour la plaidoirie des affaires qui auront fait l’objet d’une mise en état participative.
Un moment d’humanité
Le développement significatif des MARD ne pourra se faire sans une politique publique nationale répondant aux impératifs suivants : la formation des professionnels du droit sur les processus amiables, la garantie de la compétence et de la déontologie des médiateurs, des incitations financières ou sanctions encourageant les parties à recourir aux modes amiables, une institutionnalisation des processus amiables de résolution des différends dans les juridictions avec notamment la création d’un outil statistique informatisé national, faire de la médiation et de la conciliation un indicateur de performance des juridictions, la création d’un Conseil national de la médiation, composé des pionniers de la médiation en France, capitalisant les acquis et formulant des propositions de réforme aux pouvoirs publics.
En cette période de crise ou l’humain revient au centre de nos préoccupations, je rappellerai ce mot du premier président Drai : « La médiation est un moment d’humanité dans des procédures parfois kafkaïennes »7.
Notes
1. V. Lasserre, Les graves lacunes de la réforme de la justice en matière de médiation, D. 2019. 441 .
2. M. Guillaume-Hofnung et F. Vert, Construire la confiance entre justice et médiation, Gaz. Pal., 20-22 déc. 2015.
3. C. Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal., 24 et 25 avr. 2015.
4. F. Vert, Le juge des référés et l’amiable, Gaz. Pal., 22 mai 2018.
5. F. Vert, Médiation : mode d’emploi, Gaz. Pal., 14 nov. 2014.
6. F. Vert et N. Fricero, La médiation face aux enjeux du numérique et du service public de la justice : quelles perspectives ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 14 févr. 2018.
7. P. Drai, Œuvre de justice et d’humanité les annonces de la Seine, 12 nov. 2007.