La culture judiciaire française valorise dans les prétoires l’affrontement plutôt que la recherche de l’accord. Pourtant, dans de nombreux litiges, la mise en œuvre de la médiation ou de la conciliation, qui se concrétise souvent par une solution consensuelle, permet aux parties d’apaiser leurs relations en satisfaisant mutuellement leurs intérêts et leurs besoins. Au moment où le garde des Sceaux souhaite trouver des solutions pour réduire les stocks de dossiers qui s’accumulent dans les juridictions, pourquoi ne pas changer de paradigme et développer un véritable circuit procédural de l’amiable dans les juridictions, à l’ombre du juge, gardien des libertés individuelles et garant de l’ordre public, dans le cadre d’une politique nationale ambitieuse ? Ce serait là un veritable changement de culture.
Après la grève des transports, la grève des avocats et la crise sanitaire du coronavirus, la justice, et singulièrement la justice civile, celle qui traite chaque année des centaines de milliers d’affaires de la vie quotidienne, dans la quasi-indifférence générale, fait face à un monceau de litiges à traiter.
Dans son discours de rentrée, le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, a ainsi alerté sur l’augmentation inquiétante des délais de traitement, notamment dans les affaires de copropriété et les affaires économiques.
C’est dans ces conditions que le ministre de la Justice vient de créer un groupe de travail avec pour objectif de former des propositions pour réduire ces délais de jugement.
Le moment ne serait-il pas venu d’engager une véritable politique nationale de l’amiable dans les juridictions pour faire face à cette situation ?
Il a en effet été prouvé dans certaines juridictions qu’un développement significatif de la médiation et de la conciliation permettait de traiter un pourcentage non négligeable du contentieux et de prévenir de futurs procès.
Économiquement, il est également démontré qu’une dynamique de défiance, défavorable à l’activité, favorise l’inflation normative1. Les modes amiables sont ainsi particulièrement mobilisables et souhaitables dans les contentieux économiques et commerciaux où leur souplesse est pleinement reconnue et favorise la confiance entre les acteurs.
Depuis de nombreuses années, les différentes lois ayant pour objet de moderniser la justice comportent des dispositifs sur les modes amiables. Mais l’ensemble manque de cohérence et comporte des lacunes2 empêchant de faire de ces modes amiables un mode habituel de traitement des litiges civils3.
La création d’un code des modes amiables de résolution des différends, d’une direction des modes amiables de résolution des différends à la chancellerie et l’instauration d’un circuit procédural identifié de l’amiable dans les juridictions sont des pistes pour répondre à cette ambition.
Il serait judicieux de capitaliser les bonnes pratiques déjà menées dans certaines juridictions et développées au service des référés du tribunal judiciaire de Créteil4 ou de Paris ainsi qu’à la cour d’appel de Pau pour en tirer les enseignements sur les réformes indispensables à adopter pour institutionnaliser et pérenniser dans les juridictions ces expérimentations.
L’institutionnalisation des modes amiables au service des référés du tribunal judiciaire de Paris
Cette institutionnalisation correspond à une volonté des chefs de juridictions de développer les modes amiables, comme celle du premier président Jean-Michel Hayat qui a proposé la médiation comme une solution de la reprise de l’activité des juridictions après le premier confinement, ou de celle de la première présidente de la Cour de cassation qui vient d’installer un groupe de travail sur la médiation.
Sous l’impulsion du président Stéphane Noël, qui promeut depuis de nombreuses années le développement de l’amiable dans les juridictions, le pôle urgence civile, qui traite plus de 12 000 affaires par an, en collaboration avec les avocats et les associations de médiateurs, a décidé de faire notamment de la médiation et de la conciliation des outils habituels de règlement des affaires.
L’organisation aujourd’hui mise en place repose beaucoup sur la visioconférence et a démontré toute son efficacité.
Ainsi, sur le fondement de l’article 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, en particulier à l’occasion d’un renvoi demandé, le juge enjoint aux parties par ordonnance notifiée à l’audience de rencontrer un médiateur ou un conciliateur de justice.
Le modèle d’ordonnance, coconstruit avec le référent du barreau de Paris pour les modes amiables, fixe une date limite pour rencontrer le médiateur, qui est nommément mentionné, ainsi que ses coordonnées.
L’ordonnance précise en outre le choix des parties qui peuvent, à l’issue du rendez-vous, décider d’engager une médiation conventionnelle (C. pr. civ, art. 1530), de solliciter du juge une ordonnance pour débuter une médiation judiciaire (C. pr. civ., art. 131-1) ou de reprendre l’instance à une date de renvoi ultérieure mentionnée sur la décision.
Le médiateur assiste à certaines audiences pour identifier les éléments du litige en écoutant les avocats le présenter au juge et convenir avec eux d’une date de rendez-vous où les parties seront disponibles. Dans ce cadre, les rôles des acteurs du procès sont directement tournés vers la résolution amiable du litige :
- l’avocat est le premier acteur de la médiation faisant le lien entre la décision prise et l’intérêt des parties. Il est le seul à pouvoir donner du sens à la mesure et accompagner le justiciable devant le médiateur pour le conseiller, défendre ses intérêts et formaliser un éventuel accord par l’établissement d’une convention ;
- le juge prend la responsabilité d’identifier les critères de la médiation et de contraindre les parties à assister à un rendez-vous qu’elles n’ont pas demandé. Il garantit la régularité de la procédure et adapte en outre son agenda et celui du greffe pour favoriser l’homologation d’accords ;
- le médiateur accepte de recevoir gratuitement les parties pour les informer sur l’objet d’une médiation, sa méthode et le coût de la mesure. Il informe le juge de la présence des parties au rendez-vous, de leur choix de recourir ou non à la mesure et du coût de la mesure si celle-ci est décidée.
Les premiers éléments statistiques de ces mesures permettent de constater que deux tiers des mesures ainsi ordonnées aboutissent à une entrée en médiation, le plus souvent conventionnelle. Au moins la moitié de ces entrées en médiation aboutissent à un accord, le surplus des dossiers étant encore en discussion à ce jour, sauf une minorité d’environ 10 % pour lesquels l’accord recherché n’a pu aboutir.
Les injonctions de rencontrer un médiateur sont également délivrées au stade de la requête fixant les référés à heure indiquée pour les affaires urgentes, et parfois en post-sentenciel, avant l’éventuelle saisine du juge du fond.
Propositions de réforme
Le système développé ci-dessus permet de redonner aux parties et à leur conseil la maîtrise du temps du procès qui leur échappe trop souvent alors que celui-ci demeure à bon droit la « chose des parties » qui peuvent y mettre un terme à tout moment.
Il repose sur le rôle fondamental du juge prescripteur de médiation. L’état du droit ne lui permet toutefois que peu d’investir cet office tant les textes encadrant son action sont peu diserts.
Il serait ainsi souhaitable de développer un véritable circuit procédural de médiation et de conciliation dans les juridictions avec des outils statistiques adaptés valorisant les modes amiables de résolution des différends.
Le code de l’organisation judiciaire pourrait aussi prévoir des audiences de proposition de médiation avec la spécialisation de magistrats formés en la matière, système qui a démontré son efficacité.
Cela supposerait l’assistance d’un service de fonctionnaires du greffe et d’assistants de justice chargés de sélectionner les dossiers, de convoquer les parties et d’organiser les permanences de médiateurs, dans des locaux adaptés et d’en assurer le suivi.
Si l’injonction de rencontrer un médiateur s’est révélée un instrument très efficace, l’outil pourrait être encore amélioré en cas de refus d’une partie de déférer à cette injonction sans motif légitime. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, le juge a le pouvoir de sanctionner, par la condamnation aux frais de la justice, un refus déraisonnable de participer à la résolution amiable du litige.
Il serait également possible de réduire de manière très importante le flux des affaires de référés en favorisant la voie amiable pour les mesures d‘instruction in futurum et en particulier pour les expertises qui représentent une part très importante du contentieux en référés pour lesquelles souvent la plus-value apportée par le juge est très faible, notamment lorsque toutes les parties expriment leur accord sur la mesure d’expertise.
Il est déjà possible de désigner à l’amiable par acte d’avocat un expert dont le rapport aura la même valeur probatoire qu’une expertise judiciaire. Mais ce système est très peu usité car il manque un dispositif textuel qui permettrait de rendre commune de manière forcée cette expertise amiable à un tiers.
Il serait souhaitable de modifier les textes pour permettre cette intervention forcée et pour permettre à une partie à cette expertise amiable de saisir le juge en cas de difficultés rencontrées au cours de l’expertise.
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Les modes amiables, avant d’être regardées comme un moyen de désengorger les juridictions, sont ainsi une chance supplémentaire pour les parties de sortir par le haut du conflit qui les oppose. Outre leur rapidité, évitant des procès lents et coûteux, et leur confidentialité, ils permettent aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, d’en devenir des acteurs responsables, de porter eux-mêmes leur parole et d’écouter celle de l’autre, de se comprendre mutuellement, d’aborder l’entièreté du conflit.
L’intérêt de la médiation est d’être tournée vers l’avenir et dans ces nouveaux contentieux, où les enjeux économiques, sociétaux, environnementaux, politiques sont imbriqués, la médiation qui permet de mettre autour d’une table tous les acteurs concernés, à l’ombre du juge gardien des libertés individuelles et garant de l’ordre public, est à explorer.
Notes
1. P. Aghion, Y. Algan, P. Cahuc et A. Schleifer, Regulation and Distrust, The Quarterly Journal of Economics, vol. 125.
2. V. Lasserre, Les graves lacunes de la réforme de la procédure de médiation, D. 2019. 441 s.
3. C. Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015.
4. F. Vert, Le juge des référés et l’amiable, Gaz. Pal. 22 mai 2018.
Commentaires
mais encore faudrait-il doter le conciliateur de justice d'un véritable statut précisant son rôle et sa place, soit juge de paix intégré aux juridictions, délégués du juge pour les conciliations judiciaires ou médiateurs indépendants bénévoles ou non ;
Quand les juges comprendront-ils que leur métier consiste à juger et non pas à se défausser sur des médiateurs ou conciliateurs pour vider les stocks ?